Agrégée d’histoire, est auteur du livre Les pays émergents : de nouveaux acteurs,
Ed. Ellipses, collection CQFD, 2011. Professeure d’histoire, de
géographie et de géopolitique en classes préparatoires économiques et
commerciales
Pays des cycles économiques, le Brésil faisait
figure, il y a peu encore, de grand pays du Tiers Monde. Ce géant
latino-américain passe du "jaguar" au "grand émergent" et incarne
peut-être même l’avenir du monde dans des domaines stratégiques. Cette
émergence contribue au basculement du monde, les lignes bougent en sa
faveur.
Un pays qui dispose de nombreux atouts
LE BRESIL est un géant tropical, il couvre
47% de l’Amérique du Sud à lui seul. Il s’inscrit donc dans les
« grands » pays après la Russie, le Canada, la Chine et les Etats-Unis.
Cette immensité est longtemps un handicap comme le révèle l’occupation
humaine essentiellement littorale jusqu’à l’intériorisation avec la
création de Brasilia au début des années 1960. Elle devient un atout en
termes de profondeur stratégique et de possibilités hors normes.
La richesse du Brésil est d’abord minérale avec 8% des réserves
mondiales de minerai de fer (principale ressource du pays), 12% des
réserves mondiales de bauxite, mais aussi du manganèse, du chrome, du
zinc, du cuivre, du plomb, du nickel du tungstène… Le projet de la
« Grande Carajas » des années 1980 exploite l’un des plus grands
gisements mondial de minerai dont la teneur en fer est exceptionnelle,
et contient aussi plus marginalement du cuivre, du nickel, de la
bauxite, de l’étain… Cette image d’eldorado, le Brésil la doit aussi aux
diamants et à l’or.
Il dispose de produits énergétiques : charbon, gaz naturel et même
pétrole pour lequel il est autosuffisant dès 2006. Il met en valeur de
façon marginale des schistes bitumineux (Paraná). L’hydroélectricité est
un vrai atout, le Brésil ayant tiré parti de son exceptionnel potentiel
grâce à la mise en service des centrales d’Itaipu sur le Paraná (à la
frontière avec l’Argentine et l’Uruguay) et de Tucurui sur le Rio
Tocantins en Amazonie.
L’abondance des terres et la variété climatique sont les bases de « la ferme du monde » même si la pauvreté des sols tropicaux est un handicap. Le Brésil est devenu un géant agricole. Il est un grand producteur
de canne à sucre, de soja , de maïs, d’agrumes, de riz, mais aussi de
café, de blé, les productions sont aussi animales : 204 millions de
têtes de bovins, des ovins, des poulets
La population brésilienne est métissée, issue en grande partie de
l’immigration européenne et africaine. Avec un accroissement
démographique de 1%, cette population est encore dynamique et optimiste
car selon l’enquête du Pew Research Certer (2011) 50% des Brésiliens
croient en l’avenir contre 26% des Français. Un optimisme qui pousse à
consommer et participer à l’affirmation du Brésil en tant que grande
puissance… Au Brésil, on pense que « Dieu est brésilien ».
Ses performances économiques sont un support à des ambitions géopolitiques
Il est un leader dans le secteur agroalimentaire avec CUTURALE pour
le jus d’orange ou BRASIL FOODS pour la production de la viande de
volaille et de porc. Son expertise dans les agrocarburants (éthanol à
partir de canne à sucre) est bien connue.
PETROBRAS, symbolise un capitalisme brésilien triomphant, réalise en
septembre 2010 à Wall Street et Sao Paulo la plus forte augmentation de
capital de l’histoire (51,7Md de $), et s’affirme auprès des Majors
anglo-saxonnes du pétrole.
Le Brésil est aussi un géant de la production des minerais avec VALE
(ex CVRD), 2ème entreprise mondiale de son secteur rivalisant avec BHP
Billiton. 1er exportateur mondial de fer, cette entreprise est désormais
implantée dans 30 pays et emploie près de 120 000 salariés.
Le Brésil est le berceau d’entreprises que le Boston Consulting Group
qualifie de « challenger » comme GERDAU (sidérurgie) ou EMBRAER, 3ème
constructeur aéronautique mondial.
Après une « décennie perdue » pour toute l’Amérique latine, le
président de la République fédérative du Brésil Fernando Cardoso
améliore les indicateurs économiques (l’inflation, croissance économique
moyenne de 2.7% entre 1990 et 2002). En 2002, Luiz Inacio Da Silva
« Lula » est élu à la tête du pays, cet ancien ouvrier métallurgiste,
fils de paysan, incarne l’aventure collective de tout un peuple. Ce 1er
président brésilien de gauche choisit la voie de l’orthodoxie économique
qu’il double d’une politique sociale en faveur des plus démunis avec
les programmes de « Fome zero » pour améliorer l’accès à
l’alimentation des plus pauvres (programme récompensé par la FAO car la
malnutrition a reculé de 70%) et de la « Bolsa familia » (12$ par
mois par enfant scolarisé, concerne 12 millions de ménages). Le salaire
minimum est, lui, augmenté de plus de 50%, le Brésil vit la plus forte
réduction de la pauvreté de son histoire.
La force de la croissance chinoise explique aussi les performances
économiques brésiliennes. Par l’importance de ses achats, Pékin
contribue à l’enchérissement du cours des matières dont le Brésil est
riche et qu’il lui vend. La situation économique s’améliore, le Brésil
peut alors rembourser par anticipation ses dettes envers le FMI, belle
revanche sur les années 1980. La croissance économique moyenne depuis
2005 se situe autour de 5%, et 7,5% en 2010 mais 3,8% en 2011. Le FMI
prévoit 3,5% pour 2012 et 2013. Les fondamentaux économiques sont
solides, le pays apparait comme « sûr » pour les investisseurs.
Ses résultats économiques, combinés à la politique sociale
provoquent l’accroissement de la classe moyenne qui représenterait
aujourd’hui 50% de la population brésilienne (selon l’étude de la
fondation Getulio Vargas). La hausse durable de la consommation
(facilitée par un recours plus facile au crédit) et l’expansion du
marché intérieur génèrent de nouveaux emplois… un cercle vertueux donc.
Après l’échec du modèle autocentré, le Brésil s’ouvre au monde. Sa
bonne santé économique l’aide à être perçu, et à se percevoir lui-même,
comme un « gagnant » de la mondialisation, à Brasilia la crise actuelle a même été qualifiée de « vaguelette » !
Puissance démographique, cœur du MERCOSUR,
le Brésil fait figure de leader d’une Amérique du Sud stabilisée, Lula
en étant l’incarnation bien plus qu’Hugo Chavez.
Les déplacements diplomatiques de Lula sont très nombreux au Nord
comme au Sud. Le Brésil active ses liens avec le monde lusophone et
valorise ses racines africaines tout en s’affichant comme un « grand »
émergent appartenant aux BRIC’s.
Le Brésil a-t-il seulement les moyens d’être un des leaders du XXIème siècle ?
La stature internationale du Brésil passe d’abord par une bonne
assise régionale. Lula s’est rapproché de H. Chavez et s’est engagé dans
l’UNASUR (Union des nations sud-américaines). Cette priorité donnée à
ses voisins permet à Brasilia d’animer une position de fermeture face au
projet de ZLEA.
Lula œuvre beaucoup à la coopération Sud-Sud. En 2003, T. MBEKI, Lula
et M. SINGH fondent une alliance, ISBA, entre des puissances
émergentes, multiculturelles et démocratiques. Leur fronde à l’OMC à
CANCUN en 2003 face à l’Union européenne et aux Etats-Unis est un
succès.
En 2009, une nouvelle alliance se concrétise, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) « aristocratie émergente dont le but est de se faire coopter par les pays développés au détriment d’autres pays rivaux »
(Z. LAÏDI). Il s’agit ici de modifier l’équilibre géopolitique des
grandes instances internationales (FMI, OMC, Banque Mondiale…) en leur
faveur. Ce quatuor est pourtant formé de pays que les ambitions
rassemblent mais les intérêts séparent. La Chine ne
souhaite pas voir le Brésil obtenir un siège au Conseil de sécurité de
l’ONU, Brasilia commence à se méfier des « ombres chinoises » qui
planent sur le continent sud-américain et le désindustrialisent.
Sans se fâcher avec Washington, Brasilia veut contrer son influence
en se rapprochant de l’UE avec laquelle il partage des liens historiques
et culturels. Ensemble, ils relancent en 2010 des négociations pour
créer la plus vaste zone de libre-échange (750 millions de personnes),
alors qu’une coopération militaire et technologique entre la France et
le Brésil (50 hélicoptères, 4 sous-marins, la construction d’une base
navale près de Rio) lui permet de profiter de transfert de technologie
et d’afficher de nouvelles prétentions dans le domaine stratégique,
comme la Chine et l’Inde, un hard power.
Le Brésil est un adepte du soft power. Il n’y a plus de sommet
international sans qu’il y soit invité. Il aspire à jouer un rôle
nouveau à l’image de la médiation qu’il mène avec la Turquie sur le
dossier du nucléaire iranien, contrant ainsi les EU d’Obama… Dans son
discours du 1er mars 2012 face aux chefs d’entreprise, Dilma Rousseff
dénonce la « guerre des monnaies » en particulier l’avalanche de dollars qui arrive au Brésil et enchérit le real.
Le Brésil serait-il aussi une solution à nos problèmes ? Selon Eike BATISTA (homme le plus riche du pays) « Le Brésil détient tout ce dont le monde a expressément besoin ». L’Amazonie
peut apparaitre comme une solution. Les firmes pharmaceutiques y
recherchent des plantes rares pour guérir l’humanité de ses maux. Les
gouvernements successifs ont espérer y trouver une solution pour les
paysans sans terre, les laissant défricher une partie de la forêt.
Le Brésil cultive moins de 10% de sa superficie et
reste marqué par l’héritage colonial de la mise en valeur extensive. Le
pays peut donc progresser en intensifiant davantage sa production
agricole, surtout l’élevage car un bovin dispose en moyenne d’1 ha… Le
Brésil dispose d’environ 100 millions d’ha de terres arables non
exploitées voire 200 selon d’autres études. Le Brésil, une solution à
la crise alimentaire mondiale ?
Le Brésil, une solution dans un monde assoiffé d’énergie ? En 2007
est découvert Pré sal, une nappe longue de 800 km au large de Santos et
Rio mais à plus de 7 000 mètres sous l’eau, elle livre son pétrole
depuis 2011 et devrait livrer 2 millions de barils/jour vers 2020. Le
potentiel en énergie renouvelable est aussi réel pour le solaire ou
l’éolien. En résumé, « Dieu a décidé de passer au Brésil, il ne veut plus partir » Lula.
Une solution pour des sociétés confrontées à des marchés européens en berne ?
PSA va y doubler son usine pour à terme fabriquer 400 000 voitures par an à Porto Real imitant Toyota, Chevrolet ou Hyundai.
Etre une solution aux problèmes du XXIème siècle est-il suffisant pour être un leader ?
A l’échelle régionale le MERCOSUR semble aujourd’hui bloqué,
notamment en raison de l’asymétrie liée au poids du Brésil en Amérique
du Sud. Ses voisins dénoncent son attitude impérialiste (colonisation
agricole du Paraguay…) et multiplient les accords commerciaux
hors-MERCOSUR.
La base régionale du Brésil est donc moins solide qu’il n’y parait.
Le Brésil peut-il être un acteur global ? Brasilia cherche à obtenir
un siège de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU, dépêche
ses troupes à Haïti, appartient au G20, aux BRIC’s… . Héraut du
multilatéralisme, désendetté envers le FMI, médiateur entre les
puissances du Nord et les pays du Sud, « gagnant » de la mondialisation,
le Brésil se pose comme un leader du XXIème, et pourtant…
Le Brésil se convertit au multilatéralisme quand cela l’arrange, sinon préfère les relations bilatérales…
Le leadership impose aussi des responsabilités, le Brésil est-il vraiment apte à les prendre ?
Il n’a pas de monnaie capable de remplacer le dollar, il n’a pas non
plus encore la capacité de proposer des solutions aux grands problèmes
actuels, l’échec sur le dossier iranien le souligne. La hausse récente
de son budget militaire ne laisse par pour autant prévoir une
substitution à l’armée américaine dans le monde.
L’émergence du Brésil contribue au basculement du monde, les lignes
bougent en sa faveur, le Brésil est en passe d’obtenir une meilleure
place dans l’architecture mondiale, sans pour autant rechercher un
leadership que ni les grandes puissances occidentales, ni la Chine ne
sont prêts à lui laisser.
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