RFI - Article publié le : dimanche 06 octobre 2013 à 20:52 -
Dernière modification le : lundi 07 octobre 2013 à 11:30
Photo non datée de l’Algérien Droukdel, alias Abou Moussa Abdelouadoud.
AFP PHOTO/HO
RFI diffuse en intégralité la feuille de route d’Aqmi pour
l’Azawad, un document signé de la main du chef d’Aqmi, retrouvé le 16
février 2013 par Nicolas Champeaux et Jean-Louis Le Touzet, envoyés
spéciaux de RFI et Libération à Tombouctou. Dans ce document
édifiant, daté du 20 juillet 2012, le sanguinaire Abdelmalek Droukdel
dévoile noir sur blanc son objectif au nord du Mali : créer un Etat
islamique qui ne sera pas étiqueté jihadiste. Droukdel indique
clairement la marche à suivre : ses hommes doivent duper les
populations locales, donner aux mouvements armés du Nord l’illusion
qu’ils auront le pouvoir, et ne pas éveiller l’attention de la
communauté internationale. Pour parvenir à ses fins, Droukdel est prêt à
renoncer à l’application stricte et immédiate de la charia. Ce
document révèle donc une surprenante inflexion dans la stratégie du chef
terroriste et confirme par ailleurs les profondes tensions au sein de
la filiale d’al-Qaïda. Il indique enfin que le Mali n’est pas à l’abri
d’un retour des jihadistes. C’est la première fois qu’un tel document
interne d’Aqmi est diffusé dans son intégralité.
L’opération Serval a mis fin à dix mois d’occupation des grandes
villes du nord du Mali par des groupes jihadistes. Elle a chassé les
combattants d’Aqmi et d’Ansar Dine des grottes qui leur ont servi de
refuge dans la vallée de l’Amettetaï, où ils ont abandonné un important
stock de carburant, d’armes et de munitions.
Capacité de nuisance intacte
La filiale d’al-Qaïda conserve néanmoins une réelle capacité de
nuisance au Mali, qui est loin d’être à l’abri de nouvelles secousses.
En témoigne l’attaque suicide, samedi 28 septembre, dans une garnison de Tombouctou.
Revendiqué par Aqmi, cet attentat a fait seize morts, tous des soldats
maliens, selon l’organisation dirigée par Abdelmalek Droukdel, six morts
dont les quatre kamikazes et deux civils, selon des sources
officielles.
Dans sa feuille de route
pour le Mali, l’Algérien Droukdel, alias Abou Moussa Abdelouadoud, est
conscient de la nature éphémère de son expérience en tant
qu’administrateur de la région septentrionale du Mali. Mais il semble
s’en accommoder lorsqu’il file cette métaphore de la graine et de
l’arbre, car l’Azawad est pour lui un laboratoire. « Si notre courte expérience n'aboutit, écrit-il,
qu'à des résultats positifs d'ampleur limitée et que notre projet
venait à tomber à l'eau pour quelque raison que ce soit, nous nous
contenterons du fait d'avoir planté une bonne graine dans un bon terreau
que nous avons fertilisé avec un engrais qui aidera l'arbre à pousser
et grandir jusqu'à devenir, nous l'espérons, haut et prospère, même si
cela doit prendre du temps. ».
Cet extrait de la feuille de route de Droukdel au Mali, intitulée « Directives générales relatives au projet islamique jihadiste dans l’Azawad »,
sonne comme un avertissement cinglant au président Ibrahim Boubacar
Keïta, vainqueur de l’élection du mois d’août dernier. Il est manifeste
que Droukdel envisage de renouveler « l’expérience ». Dans ce document
d’une quinzaine de pages et daté du 20 juillet 2012, soit
approximativement quatre mois après le début de l’occupation, Droukdel
opère surtout un revirement dans la stratégie d’Aqmi. Il souhaite rompre
momentanément avec les pratiques terroristes qui font la réputation de
son groupe, et exprime le désir de gouverner « avec douceur et sagesse ».
→ A LIRE : Revue de presse Afrique : A la Une : « Aqmi : la stratégie cachée »
Marqué par les printemps arabes et l’aisance avec laquelle la rue a
fait tomber les régimes tunisiens et égyptiens, l’homme qui est
responsable de la mort de centaines de civils, en tant qu’artificier du
Groupement islamique armé, puis émir du GSPC et d’Aqmi, écrit noir sur
blanc qu’il aspire à gagner les cœurs et les esprits des populations.
Plus par pragmatisme que par idéologie, et sans doute parce qu’il a tiré
les leçons de l’échec de son jihad en Algérie, il prône la modération
et dénonce les destructions de mausolées et les lapidations.
Citant Oussama ben Laden, il vante même les vertus de la concession
et de la flexibilité. A court terme, il condamne l’application stricte
et immédiate de la charia, car il s’agit au préalable d’éduquer les
populations. « Il est très important de considérer, écrit-il, notre projet islamique dans la région d'Azawad comme un nouveau-né qui doit passer par des étapes avant de grandir, écrit Droukdel. Ce
nouveau né est aujourd'hui à ses premiers jours, il ne marche même pas
encore, alors est-il prudent de lui faire porter des fardeaux qui
l'empêcheraient de se lever et pourraient même l'étouffer ! [...] Si
nous voulons vraiment que ce bébé grandisse dans ce monde truffé
d'ennemis puissants et prêts à l'achever, il faudrait le traiter en
douceur et l'aider à grandir. »
Une stratégie qui repose sur la séduction et la discrétion
Droukdel vise à mettre sur pied un émirat dirigé par Aqmi, mais pour
dissimuler la nature de son projet, il est disposé, sur le papier, à
œuvrer pour la mise en place d’un Etat dirigé par des mouvements locaux.
En réalité, dans l’esprit de Droukdel, ces groupes ne sont qu’une
vitrine, une façade présentable. D’abord, des sources au sein des
services anti-terroristes occidentaux le confirment, Aqmi contrôle Ansar
Dine, un groupe qu’il a développé et financé.
Ensuite, si Droukdel indique qu’il souhaite confier la direction du
futur gouvernement au chef d’Ansar Dine, Iyad ag Ghali, il précise qu’il
sera encadré : « Nous proposons de mettre une partie des
moujahidines d’al-Qaïda à la disposition de l’émir d’Ansa Dine afin
qu’ils participent à l’administration des zones libérées ».
Droukdel, au passage, met en garde ses hommes contre « le fanatisme des
Touaregs », et induit qu’il se range lui-même dans la classe des
modérés.
Les intentions de Droukdel à long terme sont claires, puisqu’il
prévoit un Haut Conseil islamique chargé de l’application de la charia
et doté d’importants pouvoirs de contrôle sur le gouvernement. Ces
solutions, aux yeux de Droukdel, présentent l’avantage de la discrétion,
notamment vis-à-vis de la communauté internationale : « L’intervention
étrangère sera imminente et rapide si nous avons la main sur le
gouvernement et si notre influence s’affirme clairement. L’ennemi aura
plus de difficulté à recourir à cette intervention si le gouvernement
comprend la majorité de la population de l’Azawad, que dans le cas d’un
gouvernement d’al-Qaïda ou de tendance salafiste jihadiste ».
→ A LIRE : Revue de presse française : A la Une : Mali, France... le projet «glaçant» et «raisonné» d'Aqmi
Il est évident dans cette feuille de route que
Droukdel n’envisageait pas d’étendre la zone de sanctuarisation d’Aqmi
au Mali. Tout indique qu'il était contre l'offensive menée par les
jihadistes vers le Sud, qui a conduit la France à décider de frappes
aériennes et d'une intervention au sol. Selon des sources au sein des
milieux anti-terroristes, le chef d'Aqmi a été placé devant un fait
accompli. Ansar Dine a pris l'initiative, car elle souhaitait grignoter
des territoires vers le Sud pour contraindre le gouvernement de
transition malien à signer des accords et à renoncer à l'Azawad. Le
moment était propice, car les autorités étaient fragilisés par
l'ex-putschiste Sanogo.
Les combattants d'Aqmi ont vraisemblablement été séduits par ce
concept d'offensive vers une région qui aurait aussi permis de mieux
irriguer l'Azawad en denrées, mais Droukdel, qui n'a jamais mis les
pieds au Mali durant cette période, y était sans doute opposé.
Droukdel, un chef sans autorité
Confrontée à la réalité de l'occupation et à son épilogue, la feuille de route de Droukdel, un document structuré,
articulé en six chapitres, et rédigé en arabe classique, confirme qu'il
avait très peu de prise sur la situation sur le terrain, et sur ses
lieutenants, qui jouissent d'une importante liberté opérationnelle.
Droukdel s’énerve, dénonce des politiques insensées, de graves erreurs,
mais rien n’indique que ses directives aient été suivies après leur
diffusion.
Les hommes d’Aqmi se sont en effet mis à dos les habitants de la
ville aux 333 saints, qui ont été écoeurés par la destruction des
mausolées, les arrestations arbitraires, les persécutions subies par les
femmes qui, selon les jihadistes, portaient des voiles jugés tantôt
transparents, tantôt aguicheurs.
Tout au long du vade-mecum,
Droukdel oscille entre optimisme et pessimisme. Droukdel est en effet
réaliste dans la mesure où il sait que ses hommes seront sous peu
délogés. Il est en revanche optimiste lorsqu’il s’engage dans une longue
réflexion sur les objectifs concrets d’un futur gouvernement
transitoire dans l’Azawad, et lorsqu’il se livre à une répartition des
portefeuilles ministériels.
Il s’agit d’un document rare et précieux, car il
permet de pénétrer la stratégie d’un chef terroriste en situation de
gouverner.
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